Automne 1871... Alerte au choléra !

Bonjour à toutes et tous,

voici une lettre, entrée il y a quelques années dans ma collection "Levant autrichien", qui prend un relief particulier dans la période épidémique que nous vivons, et sur laquelle j'avais décidé en janvier dernier de creuser un peu... loin de me douter que nous en arriverions à la situation actuelle.




 
Postée le 11 novembre 1871 auprès du bureau autrichien de Constantinople et adressée à Trieste, elle atteint sa destination le 17 mais est dirigée vers le lazaret de la Muggia : depuis le fin de l'été, la capitale ottomane est la proie du choléra et les navires en provenant, dont les paquebots-poste du Lloyd autrichien, doivent subir une sévère inspection.

Grâce au développement des sources numérisées ces dernières années, il m'a été possible d'identifier et d'expliquer :

1. le dispositif sanitaire mis en place dans ce port qui est, à l'époque, la principale porte d'entrée maritime de l'empire austro-hongrois. Très comparable à ce que l'on rencontre à Marseille par exemple.
2. le traitement qu'a subi notre lettre, dont les modalités (et la recette) nous sont données par le Règlement sanitaire maritime de 1851 (je déconseille la fumigation indiquée pour se prémunir du Covid !).
3. les circonstances de l'épidémie qui ravage les quartiers pauvres de Constantinople à ce moment-là.

L'article est 
librement accessible en cliquent ici.

Je profite de ce fil pour montrer quelques documents supplémentaires, et agrandir certaines des illustrations.

A commencer par cette gravure de pleine page parue dans la presse française à l'issue du compte rendu d'un envoyé spécial du Monde illustré : on y voit au premier plan des soldats ottomans allant ravitailler les quartiers infestés et qui ont été confinés par palissades sur ordre du sultan...

Le lazaret qui a traité ma lettre est quasiment flambant neuf, puisqu'inauguré en 1868... Le précédent, aux indéniables qualités, avait subi un sort assez malencontreux en 1857. Voici une belle illustration dont je ne disposais pas à l'époque de la rédaction du texte (j'ai simplement utilisé un plan de la ville contemporain des faits) et qui m'a été fournie par un correspondant italien... de Trieste.



On y voit 
(1) le lazaret de Santa Teresa
(2) son bassin pour accueillir les navires suspects
... et la gare (3) inaugurée en 1857, dont les voies, sur viaduc et sous galerie coupent littéralement l'emprise du lazaret en 2 !!
Le lazaret de santa Teresa fut donc détruit et remplacé en 1868 par celui de la Muggia !

Autre document, pas inintéressant...

il s'agit d'une patente de santé délivrée par Intendance sanitaire générale de Constantinople en 1843 !





Voilà qui va mettre un terme au "sultan-bashing" auquel nous nous étions livrés, à l'initiative de Michel, il y a quelques mois, lorsqu'il prétendit que le sultan n'était peut-être pas né le jour de sa naissance...

Et bien voilà, m^me si l'homme est peu sympathique (oui il jouait au bilboquet avec la tête de ses ennemis, certes il jouait au mikado avec les doigts arrachés à leurs enfants  - je parle du sultan , pas de Michel), il décida un beau jour de 1837 de s'inspirer des règlements européens pour créer une intendance sanitaire portuaire pour se prémunir des épidémies venant du proche et moyen Orient... et en limiter la diffusion. Enfin presque, on le voit à la lecture de l'article (mais avons nous aujourd'hui des réflexes bien différents ?).

Laurent    

PS : allez, pour la route, une belle photographie de la rade de Trieste vers 1870. Au centre, un des 60 et quelques paquebots du Lloyd  autrichien qui sillonnent la Méditerranée à l'époque.

très interessant !!
merci Mare Nostrum
François

Bonjour à tous et bises aux dames,

Citation :

... oui il jouait au bilboquet avec la tête de ses ennemis, certes il jouait au mikado avec les doigts arrachés à leurs enfants - je parle du sultan , pas de Michel

Merci Laurent de m'accorder ce crédit

A bientôt.
Michel

Bonsoir,

il serait intéressant d'explorer le volet français de cette affaire. Ainsi, les paquebots-poste arrivant à Marseille, de Constantinople, à la même époque sont placés en quarantaine comme nous l'apprend le Sémaphore de Marseille.


Le Scamandre :



Le Tage :



Par contre, je ne suis pas persuadé que le courrier ait fait, comme à Trieste, l'objet d'un traitement particulier...

Laurent.

Bonjour,

hasard (?) du calendrier, la (belle) revue italienne L'Arte de Francobollo / Avril 2020 consacre un long article de Giorgio Milgliavacca à la désinfection du courrier en temps d'épidémie. Parmi les illustrations, cette photo de l'appareil utilisé à Trieste justement, à Santa Teresa, pour la fumigation des correspondances. Toujours intéressant de voir concrètement ce qu'expliquent les textes : 



Laurent.

Bonjour,

Bruno Crevato Salvaggi, membre associé de l'Académie de philatélie, signale aussi le Rastrello qui se trouve actuellement au Musée postal de Trieste mais qui était en service au lazaret de Muggia au XVIIIe siècle.
Selon lui, c'est le seul "râteau" (ou rastel) original existant:

Bonjour Laurent,

Belle photographie, je ne la connaissais pas  

Pour illustrer mon  article, j'avais fait un montage de 2 rastels différents, pour donner une idée du geste :



après, on peut peut-être les recycler... en boucherie !

L.

PS : le lazaret de la Muggia n'est inauguré qu'en 1868, sans doute s'agissait-il de San Carlo ou Santa Teresa.

Merci, Laurent, c'était un instrument similaire.

Pour la Muggia, je vais en informer notre confrère.

Le voici, ce rastel de l'Institut Pasteur avec en prime le texte paru dans le catalogue de l'exposition nationale de 2003 (merci Robert pour les photographies):

Sympathique objet... Personne n'a tiré la sonnette d'alarme dans le TGV ?

Pour ce rastel "en usage à la Muggia au XVIII° siècle", je pense que la formulation est en fait : rastel du XVIII° en usage à la Muggia.
En effet, une partie du matériel de Santa Teresa a été, lors de sa destruction, récupéré pour être utilisé dans le nouveau lazaret San Bartolomeo à la Muggia. Et pas que... on a aussi démonté et réemployé la porte monumentale, toujours visible aujourd'hui :



L.

Mare Nostrum a écrit:

Sympathique objet... Personne n'a tiré la sonnette d'alarme dans le TGV ?

Cela aurait été une arme automatique, je ne serais pas ici pour en parler