Mon escapade avec Biquette est pour l'instant terminée; elle se repose au pré en attendant une prochaine virée prévue dans le Vercors avec une bande de copines.
Profitant d'une journée de retete,je me suis rendu dans un centre de détention pour y interviouver à sa demande expresse
un lit d'air syndical. Il doit y purger quelques mois pour avoir fracassé une
vitrine d'usine à bouffe et arraché du maïs pas mûr. Y en a qui appellent
ça des eaux-géhennes. Etant moi-même syndiqué à la F.N.S.E.A. ( For-
tunés Nantis se Servant des Exploités Agricoles ) et au C.N.J.A. ( Crédu-
les Naîfs Judicieusement Annihilés ), je lui ai demandé de me parler de
son parcours d'exploitant agricole. Voici les propos qu'il m'a tenus:
" Voyons, j'ai bien fait comme le disait l'ingénieur de gestion et les con-
seillers agricoles que j'ai fait venir à la maison: en 66, j'avais 20 ans. Le
gouvernement y disait sans arrêt, les gars équipez-vous. Moi, je tanne le
père, je le menace d'aller en usine, finalement il achète un tracteur; une
belle Massey-Harris, avec les roues avant jumelées. Tiens ça tournait sur
place, cet engin, il suffisait de freiner d'un seul côté. Et il tirait! Ah, bien
sûr, il était à l'essence et l'essence, même détaxée, au bout du compte,
ça coûte une fortune, mais fallait ce qu'il fallait! Et le Crédit Agricole est
là pour prêter: on s'est tout équipé comme ça, planteuse à patates, pr-
esse, semoirs, et tout le bataclan, mais enfin, on vendait bien et encore
assez cher. Mais voilà qu'on arrive en 68, avec des annuités de crédit
drôlement lourdes et vlan, les prix tombent. Bon, cahin-caha, on arrive
jusqu'en 70. Le père, y gueulait sans arrêt. On commence à faire les bar-
rages. Avec les copains de la J.A.C. on décide qu'il faut faire autre cho-
se, que le syndicat il est pourri par les gros, les betteraviers et les céréa-
liers. Et on commence à parler de réformes de structures. Bon, cahin-ca-
ha, on arrive jusqu'en 72. Le père, y comprend plus rien, et il décide de
me laisser la boîte. Enfin, j'ai encore de la chance, à presque trente ans,
je suis le maître, y en a qui ont quarante ans et c'est toujours le vieux qui décide ! A ce moment là, ça va mieux. J'ai réussi à payer les dettes.
Aussi sec, j'achète un tracteur, un Renault de 45CV (faut de la puissan-
ce) au fuel, celui-là: ça c'est rentable. Je fais mes calculs et je construis
un poulailler: y a une maison d'alimentation qui m'a proposé un contrat
intéressant. Je fais des bandes de 600 poulets, ça paye terrible. Du coup
j'achète coup sur coup une moissoneuse-batteuse, une trayeuse élec-
trique (si je veux me marier, c'est forcé). Je sais bien que la moissoneu-
se-batteuse sur 30 hectares c'est pas rentable, mais je fais un peu chez
les voisins, elle sera payée dans 15 ans. Et puis, j'ai confiance en Pisaller,
notre ministre, on est en 72, la loi d'orientation qu'on réclamait au S.N.
J.A. elle est passée. Va falloir que les retardataires qui veulent pas s'équi-
per, ils s'en aillent. C'est pas drôle, mais on peut rien faire avec eux. Vaut mieux qu'ils vendent. Tiens, à propos, j'achète dix hectares 10 mil-
lions, mais avec un prêt de 30ans à 3%, c'est rentable, surtout que le
poulet, il va payer ça."......
à suivre et poursuivre...