Comment transformer de l'Or en Plomb

Bonjour à tous,

Voici un bon exemple d'une lettre qui aurait pu être superbe, et qui malheureusement ne répond pas à ce que l'on pouvait en espérer !

Pour info, c'est une lettre ex-collection Sunberg.

Je vous fournirai mon analyse d'ici peu, mais je suis intéressé par vos commentaires en attendant

bonjour,

en commentaire, je dirais que les lettres échangées entre Jean-Adolphe Michel, adjoint au concessionnaire suisse du service postal éthiopien, à son frère bernois par le biais de la recette-distribution française de Dirre-Daoua, ouverte en octobre 1906 par décision du 21 juillet précédent (Bull. annexe 6 p. 820), ne sont pas légion. La date réelle d'ouverture du bureau français serait le 1er novembre, d'après le Journal des Philatélistes du 31/1/1907. Voir à ce sujet DP 37/38 Tristant.

Affranchissement à 25 centimes pour l'Union par deux TP de la CFS (séries de 1902/1903), oblitération DIRRE DAOUA ABYSSINIE, complété par un TP éthiopien libellé en guerches et surchargé en centimes de franc pour le service intérieur, oblitération type suisse Güller ADIS ABEBA (il existe un modèle avec deux D et deux B).

Je ne lis pas l'allemand, mais l'inscription manuscrite au dos évoque semble t'il l'existence du bureau français, ce qui aurait tendance à donner un caractère légèrement philatélique à cette lettre, bien que ce ne soit pas un premier jour. A noter la superbe vignette de fermeture des télégraphes éthiopiens.

L'enveloppe est caviardée et annotée à l'encre, ce qui pourrait passer pour du vandalisme, si on est puriste (ce que je suis).

D.

bonjour et bonne année à tous...

traduction de la mention au verso

"A Dire-Daoua il y a une nouvelle poste française, maintenant il ya tes timbres du Levant (?)
depuis mi-novembre"

dommage un timbre a été découpé...

Bonjour à tous,

Pour commencer, voici quelques bonnes choses sur cette enveloppe, période pré-UPU d'Ethiopie, d’où un affranchissement mixte

- elle est partie d'Addis Abeba le 5 XII 1906 (cad au recto en bas à droite)

- elle a transité par le bureau français de Dirre Daoua le 10 12 1906, où les 2 timbres de la CFS ont été oblitérés. Merci à Doudad pour les références du BM parlant de l'ouverture de ce bureau.

- merci à luxemburger pour la traduction de la note au verso. Je pense que cette note a été rajoutée par la suite, car elle n'es pas de la main de l'expéditeur, mais elle indique justement que les timbres du Levant ont été employé à partir de 1906 dans les bureaux français d'Abyssinie (de même que ceux de Port-Saïd, bureau de recette auquel étaient rattachés ceux d'Abyssinie)

Donc, comme noté par Doudad, une enveloppe peu courante avec une oblitération de Dirre-Daoua sur timbre de la CFS. Elle aurait pu valoir de l'OR

Mais cela se gâte ensuite dans l'analyse, que je poursuivrai demain

bonjour,

le statut du bureau français de Dirre-Daoua est fort curieux. Son ouverture est la conséquence directe de trois facteurs (normal, pour un bureau postal). D'abord, Ménélik a affirmé l'indépendance de son pays (l'Ethiopie), ce qui lui permet de traiter en égal avec les "Grandes Puissances", il a constaté l'insuffisance des services locaux organisés par les suisses (il me semble lire le nom d'Ilg - Alfred, organisateur principal - à l'encre rouge sur la suscription), et enfin, le chemin de fer de Djibouti atteint la localité en janvier 1903.

Un bureau de poste éthiopien est ouvert à Dirre-Daoua en 1904, mais l'Ethiopie n'appartient pas à l'Union postale. Ménélik accepte donc l'ouverture du bureau français en 1906 (avec la mention ABYSSINIE, politiquement plus neutre qu'ETHIOPIE). D'après le texte en réf. ci-dessus, c'est un BFE (bien qu'on le trouve rarement listé), son bureau d'attache n'est pas Djibouti (bureau colonial), comme on pourrait le croire, mais Port-Saïd (BFE), ce qui explique la mention au dos de la lettre sur les "timbres du Levant" (en fait, Port-Saïd utilise des TP français surchargés).

Dans la pratique, le bureau fonctionnait comme une annexe de (presque) plein exercice de Djibouti, d'où son statut ambigu, et l'utilisation des vignettes de la CFS (colonies). La lettre présentée, oblitérée à Dirre-Daoua, montre que c'était là le point d'entrée dans l'UPU, où le courrier d'Ethiopie était trié et mis sous pli. Djibouti n'est alors plus qu'un transit de dépêches.

La lettre présentée ici est mentionnée par Tristant (DP 37/38), sans commentaires. Il n'est pas fait mention de ce qui a pu être caviardé (pas un TP, en tout cas).

D.

EDIT = peut-être un dateur HARAR POSTES FRANCAISES double cercle 24/12 à petits fleurons, même si je ne vois pas trop ce qu'il aurait pu faire là, ni pourquoi on l'aurait salopé (si j'ose dire).

Merci Doudad pour ces compléments.

Le statut des BFE d'Ethiopie est effectivement très curieux, car il ne dépendait pas du bureau de Djibouti (ou d'Obock), alors que celui-ci assurait le lien vers le "monde UPU". Derrière cela, il y a une affaire de gros sous. Si utilisation de timbres de la CFS, c'est le ministère des colonies qui récupère les montants correspondants. Si utilisation des timbres du Levant ou de Port-Saïd, c'est la poste française qui touche les recettes. Mais dans tous les cas, c'est la poste de Djibouti qui fait le boulot !

J'avais lu il y a un moment les articles de Tristan dans DP 37/38, mais je n'ai pas pu me le procurer . Je suis intéressé par un scan au minimum de la page (où des pages) où il parle de cette lettre, je ne me rappelle pas cette mention.

L'article fait 110 pages, je ne sais pas si j'ai le courage de scanner ...

Je l'ai eu en photocop auprès de R. Abensur, à l'époque (ça commence à dater un peu).



D.

Pour continuer l'analyse de cette lettre, parlons maintenant des protagonistes :

- l'expéditeur est Adolphe Michel, de nationalité suisse, directeur des postes éthiopiennes en poste à Addis Adeda depuis octobre 1906. Il était auparavant directeur du bureau de poste (éthiopien, pas le BFE) de Harrar. Il écrit à son frère, qui travaille pour l'administration des télégraphes à Bern. Un certain nombre de lettres de Adolphe Michel à son frère sont connues. L'écriture de Adolphe Michel est très caractéristique, ce qui permet de bien confirmer qu'il est l'expéditeur.

- Adolphe Michel est aussi connu pour avoir eu la main parfois un peu lourde en terme de surcharges ou cachets pendant l'exercice de ses fonctions au sein des postes éthiopiennes, avec des surcharges parfois pas vraiment justifiées d'un point de vue purement postal. Il quitte ses fonctions fin 1907 ou début 1908 (je n'ai pas la date exacte) et rentre en Suisse. Certaines mauvaises langues disent qu'il a été viré pour malversations.

- A son retour en Suisse, Adolphe Michel fait ce qu'il sait bien faire, donc des surcharges et des cachets éthiopiens. En particulier, certaines surcharges présentées comme réimpressions sont l’œuvre de Adolphe Michel après son retour en Suisse. Comme il n'avait plus aucune fonction officielle au sein de la poste éthiopienne, il serait plus juste de parler de faux.

- Cette enveloppe a été identifiée comme ex-Sundberg. Erik Sundberg et son ami Ivan Adler ont acheté au début des années 1960 tout le stock résiduel encore en possession de Adolphe Michel. Il s'est avéré que l'essentiel était des faux ou des réimpressions. Ces 2 amis font partie d'un groupe de collectionneurs scandinaves, ayant présenté des collections d’Éthiopie dans de grandes expositions internationales dans les années 60/70 (pour finir à Arphila 75 à Paris il me semble). 

- Ivan Adler a édité vers 1960 un Handbook "the stamps of Ethiopia", que l'on peut trouver en vente sur Internet
https://www.ebay.com/itm/363138687988
Sa collection est aussi, suite à une donation en 1970, la base des collections de timbres des musées éthiopiens (national Postal Museum, à l'Institute of Ethiopian Studies Museum en 2003)

Mais de grands collectionneurs ne sont pas une garantie d'authenticité. Un spécialiste de l'Ethiopie (l'italien Luciano Maria, qui réalise un recensement de toutes les lettre pré-UPU d'Ethiopie, et digne successeur en terme de connaissances de Roberto Sciaky) m'a écrit que tous les collectionneurs d'histoire postale d'Ethiopie, y compris lui-même, se sont fait avoir à un moment ou l'autre par des productions de Adolphe Michel.

La suite au prochain épisode !!!

Merci Doudad pour ce court extrait de DP 37/38, qui laisse peu de doutes sur le fait que la lettre que je présente et celle vue par Tristan sont les mêmes. Comme quoi, Tristan fait aussi partie des collectionneurs qui se sont faits abuser par les productions de Adolphe Michel.

Pour terminer l'analyse de cette enveloppe (et confirmer ce que je dis juste au dessus), regardons les éléments non encore examinés

- l’affranchissement intérieur éthiopien est de 10c (ou 1/2 guerche), alors qu'il aurait du être de 20c (ou 1 guerche) suivant les tarifs de l'époque. On pourrait objecter que Adolphe Michel, peu respectueux des règles, aurait pu s'octroyer un passe-droit que personne au sein de la poste locale n'aurait osé contester.

- le timbre éthiopien utilisé est le timbre support de 1894, avec une surcharge "Bosta" ("Postes" en amharique) de 1902, et une surcharge 10 en monnaie française de 1905. Dans le catalogue Y&T de 1973, il porte le numéro 52, et présente une côte conséquente par rapport à ses petits camarades (40 fois celle du numéro 51 ayant la surcharge 05), ce qui le désigne donc comme une véritable rareté.

- Depuis son statut a perdu quelque peu de son prestige. Ce timbre n'est plus référencé par exemple par Y&T, plus de numéro 52 dans le catalogue ! On peut le trouver de ci de là en vente, avec des commentaires pudiques le désignant en tant que non-émis, ou précisant qu'il n'existe pas d'oblitérés avec une oblitération authentique. Serait-ce là la seule oblitération authentique sur un timbre non-émis ?

- Malheureusement, la conclusion est moins affriolante. Le timbre support de 1894 me semble authentique. La surcharge "Bosta" de 1902 est fausse (on peut la qualifier pudiquement de réimpression de Adolphe Michel). L'oblitération de Addis Abeba sur le timbre est fausse aussi, elle est légèrement différente de celle en bas à droite, qui elle est authentique. En regardant attentivement le scan, on peut voir que le coin supérieur gauche de l'enveloppe est taché par des marques d'encre, sauf le timbre qui est propre comme un sous neuf, ce qui montre bien qu'il a été rajouté après coup.

- comme noté très justement par luxemburger, il manque un timbre au verso. Il s'agit probablement du timbre éthiopien correspondant au port intérieur jusqu'à Dirre-Daoua.

En conclusion, voici une lettre envoyée par Adolphe Michel en 1906 à son frère, et qui aurait pu être une réelle rareté, avec utilisation de timbres de la CFS oblitérés à Dirre Daoua. Il a dû ultérieurement (après son retour en Suisse) la récupérer auprès de son frère, et vouloir la rendre plus "sexy" par trucage pour en tirer un meilleur prix. Il s'agit là d'un rare exemple ou le faussaire est l'expéditeur initial !!

Il reste malgré tout un grand fragment (les 2/3 bas de l'enveloppe) intéressant, avec ses cad et ses timbres, témoins de la période pré-UPU de l'Ethiopie. Et aussi la raison de mon titre :

COMMENT TRANSFORMER DE L'OR EN PLOMB

Bon soir,

La discussion ici me donne un peu de contexte a cette piece.

Ni or ni plomb: c'est addressé a une journale allemande: "Potasse, minerales, et charbon".

Je comprends que l'originateur etait problement un des conseillers miniers Suisses travaillant pour Menelik. Il y'a quelques numeros de la journale accessibles mais pas dans la periode quand on peut trouver une lettre d'Abyssinie.


La marque sur le timbre d'Ethiopie est "Dagwami" de 1907. Il y'a peut de couvres avec le surcharge. Au verso en lieu d'un timbre de Djibouti, c'est Port Saïd, propre pour l'anée



Je suis curieux si il y'a plus d'interessant ici.

Bonsoir,

Pièce très intéressante à mon avis. Je ne suis pas spécialiste de l'Ethiopie, mais voici ce que je peux analyser (ici principalement en m'appuyant sur le livre de Roberto Sciaky).

La surcharge Dagmawi est rare, émise par Adolphe Michel le 21 juin 1907 à Addis Abeba, alors qu'il perd sa place le 8 juillet 1907, à la fermeture de la poste d'Addis Abeba. Cependant, le cachet postal d'Addis Abeba aurait (au conditionnel) été utilisé jusque vers novembre par du personnel du bureau télégraphique, qui lui n'avait pas fermé. Le cachet sur la lettre me semble authentique à première vue.

Nous avons une oblitération de Dirre- Daoua sur timbre de Port-Saïd, ce qui me semble normal en août 1907, et un cachet de transit de Djibouti ensuite, tout aussi normal.

Ce qui n'est pas clair, c'est comment cette lettre a été transmise de Addis Abeba à Dirre Daoua, alors que la poste éthiopienne a été fermée en juillet. Peut-être remise à la légation de France d'Addis Abeba, qui se serait chargée de la faire suivre jusqu'au bureau français de Dirre Daoua ?

Pour conclure, comme souvent avec les courriers pré-UPU d'Ethiopie, il est difficile de se prononcer avec certitude. Mais je ne vois pas sur cette lettre de points remettant en doute son authenticité

Voici une autre piece de Michel addressé au bureau de telegraphe à Berne:




La marque au timbre d'Ethiopie est 'Melekt', selon les autorités.

Michel etait non seulement le maitre de poste, faussaire extraordinaire, telegraphiste, et le raison que la philatelie d'Ethiopie avant de 1908 et 'vraiement tres simple' (si je comprends l'idiome francaise), mais il etait l'artiste des premiers cartes postales d'Ethiopie.

Intéressant de voir que Adolphe Michel s'était aussi improvisé éditeur de cartes postales, mais cela me surprend un peu.

Ensuite, je suis un peu dubitatif sur cette carte postale. La qualité du scan ne permet pas de voir si il s'agit de la surcharge MELIKT ou MILIKIT. Il s'avère surtout que la surcharge MILIKIT a été réalisée par Adolphe Michel sans autorisation, et que son utilisation postale fin 1904 est sujette à caution. La majorité des courriers avec cette émission sont des trucages ultérieurs de Adolphe Michel.

De plus le cachet éthiopien Harar n'est pas vraiment lisible (donc pas de possibilité de voir si il a l'air authentique ou pas). Mais je suis très circonspect, car par un hasard extraordinaire, l'encre du cachet de la Cote des Somalis me semble être la même que celle du cachet Harar.

Oh la la (si je comprends l'idiom francais). Tout une autre niveau de truchage de Michel. Je dois faire une meilleur scan.  Mon projet, c'est simplement la poste via Djibouti.

Bon jour,

Voici un scan du timbre d'Ethiopie. Le surcharge est bien MELIKT, le vrais, pas MILIKIT, nié par Ilg.


[url=https://servimg.com/view/20481480/14][/url]


Melikt avec ponctuation, vs milikit, selon la site de Doig: https://doigsden.com/EthiHome.html


Mais je vois une autre probleme (mis à part son état): la date! Je lis 1-1-5. Si '5' est l'anée, c'ést aprés le départ du pays.

Voici le timbre avec les marques de CFS. Peut etre que les marques ont été appliqués en Harar.

Autres cartes pour la Suisse á l'epoque sont affranchis avec 10c. Peut etre c'est imprimée?

Les cachets de la CFS ne peuvent être frappés qu'à Djibouti, ils doivent donc obligatoirement postérieurs aux cachets éthiopiens.

Il me semble donc qu'il y a un problème avec le timbre éthiopien, je lis aussi 1-1-5, alors que les timbres Melikt ont de plus perdu leur pouvoir d'affranchissement le 31/12/1904. Ensuite, difficile de se prononcer sur un scan sur internet, mais je trouve le cachet de Harar plus noir sur le timbre que pour la partie sur l'enveloppe, qui me semble un peu plus bleue. Mais cela reste bien sûr très subjectif.

Concernant le tarif, 5c me semblent Ok pour une carte avec juste des vœux de bonne année et une signature. Ce n'est donc pas le critère qui me ferait dire que cette carte est truquée

Plombe, donc. Merci pour vos observations.

Quant au cachet de Harar, je ne trouve pas de difference entre la carte et le timbre. La noirceur c'est sur les taches de rousseur et sur le surcharge.