Le célèbre susurrement d’Isabelle Adjani paraissant à la Comédie française dans l’Ecole des femmes a suscité bien des sourires. Il y a fort à parier que si je l’avais vu ce jour-là j’aurais été du côté des rieurs. Quant aux méméres à leur chien-chien, elles m’ont souvent énervé. Hier, j’ai manqué en étrangler une qui « dialoguait » avec son basset à poils longs : « Il est gentil le monsieur ! » qui reniflait mon panier. C’était dans la salle d’attente d’un vétérinaire. J’étais là, me rongeant les sangs devant des publicités débiles pour des « photographes professionnels qui viennent faire le portrait de votre animal favori à votre domicile » et autres pilules contraceptives pour chatte. J’étais là, panier sur les genoux, pour faire piquer Zoulou, dix ans (soit 56 ans chez les humains selon une autre pub). Zoulou le plus beau chat des Batignolles. Mon petit chat noir aux yeux jaunes.
Riez, si vous en avez le cœur, le mien est en marmelade. Dix ans de vie partagée, de passion et d’indifférence, d’événements violents et de lectures studieuses, cela ne s’oublie pas ainsi. Tout a commencé un beau soir de printemps. Des amis, les meilleurs, les vrais, m’entouraient sous un soleil bourguignon finissant. Parmi les cadeaux, pour mes cinquante ans, une boule de poils noirs, demi-angora. Certains de mes enfants tombaient sous le charme, d’autres, l’un surtout, fanatique de Garfield, le chat gras, égoïste et feignant de Jim Davis, jalousait déjà celui qui allait lui prendre sa place dans la famille, celle du chat.
Dix ans où nous avons partagé le pire et le meilleur. Je me souviens du 21 avril 2002 quand Zoulou s’est caché sous un lit. Les hurlements des téléspectateurs, le claquement immédiat de la porte, à 20h01, sur des enfants partis en courant à la manif (sans savoir où elle aurait lieu) après avoir pris une bonne leçon de démocratie. Je le revois, ronronnant sur mes genoux, il y a moins de quinze jours, le 22 avril 2007 pendant que je regardais seul (ou plutôt, nous deux, le chat et moi) les résultats du premier tour de l’élection présidentielle en cours. Que ne donne-t-on pas le droit de vote aux chats, je suis sûr que Ségolène aurait déjà gagné.
Mais Zoulou a aussi accompagné son maître (je ne vais pas vous refaire le numéro sur le fait que les chats sont nos maîtres, etc, etc) pendant dix ans d’activité variées. Il fut d’abord un formidable chat de journaliste du dimanche. Pendant toutes ces années, je vous le jure, il n’a jamais raté un de mes retours tardifs du samedi soir lorsque je rentrais fourbu du JDD. Dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, il n’en avait rien à foutre. Mais le samedi (ou plutôt le dimanche) entre une heure et trois heures du matin il m’attendait les sens en éveil devant la porte ou affalé sur mon lit. Chat de journaliste au chômage, nous partagions depuis quatorze mois la lecture matinale des quotidiens. Il s’endormait toujours le premier…
Chat d’éditeur, il a commencé par se lover autour de mon portable tout neuf où s’entassent les manuscrits. Le premier livre que j’ai publié lui a beaucoup plu (normal, c’était une histoire de chat). Il m’a porté chance et s’est étonné que j’ai acheté à cette occasion un chat en bois installé sur un livre en bois. Il lui est même arrivé, si, si, d’écrire à quelque bloggeuse qui avait aimé ce livre que j’ai édité ! Chat de critique littéraire pendant douze ans, nous avons partagé nos emballements pour Jim Harrison, Toni Morrison et quelques autres, accompagné en boucle par l’avant-dernier CD de Bruce Springsteen (The Ghost of Tom Joad). Chat de « déficient génétique » il fut à mes côtés pendant une dépression nerveuse provoquée par trop de pressions professionnelles (quel dommage que Robert Sutton n’ai pas publié plus tôt son Objectif zéro-sale-con, Vuibert). Sa chaleur, ses caresses, m’ont fait parfois oublier les sales et les vrais cons. Il en a consolé bien d’autres que je ne peux citer ici.
Et moi j’ai tout juste su le caresser quand la vétérinaire lui a fait une piqûre pour l’endormir. Dans quelques jours je n’ai pas envie qu’on me souhaite mes soixante ans.
Christian SAUVAGE.