Bonjour,
la poste rurale mène à tout, à condition d'en sortir. Témoin cette lettre adressée à un habitant du
villade de Fage, commune de Comiac, canton de Bretenoux, arrondissement de Figac,
département du Lot, poste à Céré, à Comiac, et qui porte un règlementaire décime rural en noir pour distribution par facteur rural. Banal.
Ce qui l'est moins, c'est qu'elle a reçu un autre décime supplémentaire, un décime de voie de mer, ou décime du capitaine.
Elle a été écrite à La Vera Cruz (La Vraie Croix), ville de la côte est du Mexique d'où partent les navires pour l'Europe. Confiée à un navire marchand (il n'y a pas de paquebots, à l'époque), elle a été reçue par la poste bordelaise exactement quatre mois plus tard, victime d'avatars inconnus. Elle y a été taxée pour un second port, distance de 151 à 220 kilomètres, soit 5 décimes multipliés par 1 et demie, plus le décime de voie de mer et l'arrondi, soit 9 décimes. Le décime rural sera frappé plus tard, et perçu en sus.
Outre la marque d'arrivée de Saint-Céré, elle porte une griffe qui témoigne de son passage au lazaret de Trompeloup. Quézaco ?
Cette marque (Salles T1/201) indique que la lettre est passée à la purification, en raison des nombreuses épidémies qui sévissaient à cette époque, le choléra en particulier, mais aussi la fièvre jaune, la peste noire ou la variole de je ne sais quelle couleur, et dont on soupçonnait qu'elles se propagaient par les navires - mais plus probablement par les rats que par les lettres, en fait.
Le gouvernement avait fait voter une loi en mai 1822 qui accordait au ministre de l'Intérieur un crédit extraordinaire d'un million cinq cent mille francs pour commencer la mise en œuvre des établissements sanitaires qu'exigeait la sûreté du pays. C'est ainsi que fut installé le lazaret Marie-Thérèse, érigé à partir de 1825 par l'architecte Poitevin au lieu-dit Trompeloup, sur le territoire de la commune de Pauillac.
Archives de la Gironde - Série 5M Santé publique et hygiène - T1
Le lazaret de Trompeloup devait ressembler à ça, les montagnes en moins, ceci étant une vue d'artiste, comme on dit.
Comment purifiait-on les lettres. D'après d'Argout, Pair de France, Ministre du Commerce et des Travaux Publics, dont les postes dépendaient, ils fallait qu'elles soient "
incisées trois ou quatre fois, avec un ciseau de menuisier et un maillet, afin d'empécher le contact (avec l'opérateur)
; qu'elles soient ensuite trempées dans du vinaigre concentré, et qu'elles y restent plongées assez longtemps pour être complètement imbibées." Les personnes chargées de l'opération ne devant manipuler les lettres qu'avec des pinces. Il existait aussi une méthode par fumigation, sûrement plus douce pour le malheureux courrier.
On remarque sur notre lettre une large entaille NO/SE, qui témoigne de son passage à la casserole - ou plutôt à la vinaigrette.
D. (qui préfère se purifier au single malt)