Bonjour à toutes et tous,
pour rebondir sur l'importance relative de la qualité des TP en histoire postale abordée sur le fil concernant le n°41A, voici une lettre que j'affectionne particulièrement :
Postée à Boulogne-sur-Mer le 16 septembre 1856, elle est acheminée vers Calais le lendemain et Londres le 18, puis embarquée à bord du Tiptree qui appareille de Liverpool le 21 septembre. Il s'agit d'un clipper (voilier effilé aux imposantes mâture et voilure)
Photo du Champion of the Seas (1854)de la compagnie White Star Line : celle-ci est emblématique de ces grandes compagnies qui exploitèrent avec leur flotte de voiliers la ligne Liverpool – Melbourne : après de modestes débuts en 1845, la White Star pouvait aligner en 1852 six clippers et s’imposer comme un acteur incontournable sur cette ligne (*). Le joyau de sa flotte était, en 1854, le Red Jacket, capable de rallier l’Australie en moins de 68 jours !
Sinon, il faut compter 75-85 jours pour ces clippers qui empruntent la Great Circle Route, particulièrement périlleuse : une fois le Cap de Bonne Espérance doublé, les voiliers naviguent entre les 40° et 50° Sud. Les violents vents des « 40° Rugissants » leur donnent leur pleine vitesse, mais constituent toujours une épreuve pour les navires et leur équipage et il n’est pas rare que les clippers rencontrent des glaces dérivantes.
Pour autant, le Tiptree qui a embarqué cette lettre n’atteint sa destination que le 9 janvier 1857 ! En témoignent un cachet d’arrivée faiblement frappé en rouge au verso et la mention manuscrite du destinataire, apposée sur la suscription à gauche : Received 10 january 1857... soit un parcours de 117 jours, bien loin des chiffres annoncés ci-dessus...
On imagine volontiers que le retard du Tiptree a dû inquiéter les responsables de la compagnie... et les passagers qui avaient embarqué au départ de Liverpool !
La clef de l'énigme se trouve dans la presse numérisée australienne, et ce voyage defraya effectivement la chronique. Exemple avec cet article du journal australien The Courier (édition du jeudi 30 décembre 1856) qui donne le fin mot de cette histoire :
« Tiptree, le courrier (au sens de bateau postal) disparu – Des informations communiquées de Lisbonne nous apprennent que le Tiptree, capitaine Pinel de la White Star Line, avec 500 émigrants à bord, a été contraint d’accoster dans ce port le 8 octobre, voilure et mâts très fortement endommagés après avoir affronté une violente tempête au large du Cap Finisterre (au large de l’Espagne donc). Le Tiptree avait quitté Liverpool pour Melbourne le 21 septembre. Cet extrait de la lettre adressée à M. Loader, de Melbourne, par un passager nous donne des détails supplémentaires sur ce désastre : « A bord du Tiptree, 2 octobre 1856 – Je n’arriverai sûrement pas avant Noël. Nous avions tranquillement quitté Liverpool dimanche, et tout s’est bien passé jusqu’à jeudi quand une tempête s’est levée et a empiré jusqu’à vendredi : même ceux qui, parmi nous, sont de vieux loups de mer ont pu croire que les mâts allaient être emportés et qu’ils perceraient la coque dans leur chute. (...) Nous devrions pouvoir arriver à Lisbonne juste à temps pour que je poste cette lettre à bord de l’Oneida qui est parti de Southampton. »
Laurent (*) Pour autant, la compagnie accumula les difficultés financières, fut confrontée à plusieurs accidents (le naufrage du Tayleur en 1853 fit 380 victimes, une catastrophe fut évitée de justesse en 1863 après que le Royal Standard a percuté un iceberg,...). La White star ne fit l’acquisition de ses premiers steamers qu’en 1863... trop tard cependant pour renouer avec les bénéfices : le compagnie fit faillite en 1867. Le nom en fut racheté par l’armateur Thomas Ismay et c’est sous son pavillon qu’un certain Titanic prit la mer en 1912...