Paris Moderne ....

L'excellent site http://www.taxi-library.org/ recense quasi exhaustivement les quelques 200 cartes postales de femmes cochers et taxis, réunies et commentées par Norman Beattie. En 1907, la perspective de voir des femmes cochères fit sensation. Les journaux parisiens suivent leur évolution de près. Ainsi, les deux premières femmes diplômées de l'école de taxi, Mme Charnier et Mme Dufaut, passèrent leur première journée de travail à défiler devant les photographes. On en fit des sketches de cabaret et une nouvelle. Le phénomène eut tant de succès qu'une rumeur circula, comme quoi des cochers se travestissaient pour avoir plus de clients. Cela coïncida avec une passion pour la photographie et les cartes postales. Environ 200 photos de cochères furent émises. On peut les classer en deux catégories, les documentaires et les humoristiques. Cette publicité incita d'autres femmes à se lancer dans cette activité.

Certaines abandonnèrent, et fin 1908, on n'en dénombrait plus qu'une vingtaine. Les causes en étaient multiples : scandale et pression de la famille, héritage bienvenu, mariage, disputes violences, obsolescence de ce moyen de transport, concurrencé par le taxi. Mme Lutgen, aristocrate démunie, profita de ses talents en équitation (cela faisait partie de l'éducation aristocratique) pour le devenir, puis pour entrer au service de la Duchesse d'Uzes (féministe et automobiliste convaincue, fondatrice de l'automobile Club Féminin de France), mais démissionna sous la pression de ses parents. On peut s'étonner de cette poussée de vocations de cochères (une demi-douzaine en quelques mois), alors même que les voitures à traction animale étaient concurrencées par l'automobile, et de l'absence de réactions virulentes. Il se pourrait que cet engouement ait été entre autres orchestré pour des raisons publicitaires. La principale bénéficiaire de cette publicité fut la compagnie Valentine. C'était aussi un coup de publicité pour les rédactions qui faisaient paraître des articles et des interviews. On peut ainsi voir une photographie où elle est suivie par une grande foule devant le Grand Comptoir de la Carte Postale Illustrée ELD (ELD est un fameux éditeur de cartes postales). On peut supposer qu'elle a orchestrée cette campagne de photographies pour lutter contre son déclin.

Devenir cochère était un moyen de gagner sa vie. Sur les dix femmes couramment photographiées sur les cartes postales, quatre étaient célibataires. Toutefois, le travail était pénible et parfois peu rémunérateur. La vie de cocher pouvait bien entendu être dangereuse. Ils pouvaient par exemple se faire agresser. Une carte postale, Paris Moderne n°919, met en scène une cochère éloignant un agresseur avec une sorte de bombe au poivre, légendée « Rassurez-vous, clients peureux car nous avons de quoi nous défendre ». Les voitures pouvaient être forcées. Les relations entre cochers, ou entre cochères, n'étaient pas toujours amènes. Et, pour les cochères devenues taxis, elles pouvaient l'être encore moins, face à une profession en perte de vitesse. C'était aussi un moyen d'émancipation, vécu aussi parfois comme une provocation.

Les femmes qui adoptaient des métiers traditionnellement masculins étaient soupçonnées d'abandonner leur féminité mais étaient aussi vues comme « Les femmes de l'avenir », dans la série de cartes postales éponymes, qui présentaient des femmes aviatrices, militaires, etc... où elles prenaient des poses viriles tout en restant gracieuses et souriantes. Apparemment, les cochères en étaient un thème de prédilection. Madame Moser, par exemple, pose dans son uniforme, avec une cravache, mais aussi une cigarette à la main, sur une carte postale, mais on la voit repriser des chaussettes sur une autre.. Madame Moser, par exemple, pose dans son uniforme, avec une cravache, mais aussi une cigarette à la main, sur une carte postale, mais on la voit repriser des chaussettes sur une autre. Dans les cartes humoristiques, les commentaires étaient ironiques et misogynes, comme cette carte illustrée où un homme dit « Moi, quand je m'ennuie, j'passe une heure en tête-à-tête avec une femme pour 40 sous », comparaison peu fine avec la prostitution. Mais les cartes « documentaires » mettaient en valeur leurs compétences professionnelles, comme celles-ci légendées « Avec elle le mauvais chemin ne fait pas peur », « Avec elles, on ne craint pas de se perdre », ou leur charme, « Avec un pareil conducteur, on ne peut résister à la tentation de se perdre dans les bois. Une série s'appelait d'ailleurs « Nos jolies cochères ». Les sœurs Etienne posaient pour la série « Nos jolies cochères », parfois appelées « Nymphes des Bois » dans des cartes postales les mettant en scène au Bois de Boulogne ou avec des admirateurs. Certaines cartes vantaient leur douceur vis-à-vis de leurs bêtes. Enfin, certaines des cartes postales ne mettent pas du tour le sexe du modèle en valeur. On peut les comparer aux cartes de cochers, tout simplement.

La plupart des cartes met en scène le quotidien du travail, ainsi que les moments de sociabilité professionnelle : chiquer du tabac, boire un coup, jouer aux cartes...Elles permettent aussi de connaître les véhicules, ainsi que les tenues de cochers. Les voitures hippomobiles étaient peu accessibles, a fortiori dans des jupes longues, encombrantes et pesantes. La plupart des compagnies fournissaient un uniforme à leurs cochers, l'un pour l'hiver, l'autre pour la belle saison. Les femmes mettaient une couverture sur leurs genoux pour ne pas abimer leurs bas, couverture probablement louée par la compagnie aussi, puisqu'un numéro étaient inscrits dessus. La coquetterie et la féminité n'étaient pas la première préoccupation, le haut de l'uniforme étant unisexe.

Une femme conduisant un wagon et des chevaux dans le nord de Londres pendant la première guerre mondiale. La photo a été prise le 16 août 1916.
Photo: Topical Press Agency / Getty