Corogne à Londres en 1844, voie de terre, heu, non, de mer

bonsoir,

une lettre bizarre qui me vient d'Espagne, avec une question à laquelle je ne sais pas répondre (oui, c'est rare, mais ça arrive).



Partie de La Corogne le 31 mai 1844, la voie de terre est demandée (por Madrid), elle est entrée en France à Bayonne (ESPAG. 2 SJDL 2) le 6 juin. Jusque là, tout va plus ou moins bien, si ce n'est qu'elle n'est pas affranchie en Espagne pour le trajet espagnol, ce qui n'est pas normal.

A mon sens, elle aurait dû être mise en dépêche à Madrid pour Paris, et porter une marque d'entrée ESPAG. 3 SJDL 3., et être envoyée à London via le Channel.

Au lieu de ça, elle porte un dateur de Bordeaux du 7 juin, et une marque de Ship Letter de London du 10 suivant. Et une taxe que je ne lis pas.

Une note vue chez M. Chauvet semble autoriser les directeurs à utiliser la voie de commerce si ça arrange le service, je veux bien. Mais la voie de terre, en l'occurrence, Bordeaux/Paris/Londres est plus rapide et plus sûre que la voie du commerce, a priori. Et la voie du commerce doit être payée d'avance au port d'embarquement, sauf erreur, et elle doit être demandée par l'envoyeur. Bref, rien ne colle.

Mon correspondant (une personne trèèèèès sérieuse en HP espagnole) a vu d'autres lettres identiques entre juin 1843 et juin 1844, et il me pose la question qui tue (la réputation de la France est en jeu, et je vous cause pas de la mienne) : connait thon un texte qui crée/autorise/conseille cette "voie maritime de Bordeaux" dans ces années-là ? Y at'il eu des innondations à Châtellerault, une révolte des chevriers à Sainte-Maure, une grève des cockers à Calais ?

Merci pour vos retours ...

D.

Bonsoir,

Doudad a écrit:

oui, c'est rare, mais ça arrive

Si ça arrive, cela devient sérieux  

Citation :

si ce n'est qu'elle n'est pas affranchie en Espagne pour le trajet espagnol, ce qui n'est pas normal

Je vais dire une bêtise, mais cela ne viendrait pas du fait de la gratuité des échanges entre l'Espagne et la France à cette époque?

Sinon, il y a des spécialistes de la poste maritime de Bordeaux, mais ils ne nous lisent pas ici (et l'un d'entre eux n'a même pas internet ... Pas facile de le lui demander directement).

Bonsoir,

Je pourrais répondre que, dans Les Trois Mousquetaires, l'infâme Milady passe de la Rochelle à Londres par voile, après son entrevue avec Richelieu à l'auberge du Colombier Rouge. Mais Dumas indique qu'au bout de neuf jours elle voyait les côtes du Finistère. Vents contraires...

En 1844, il n'y a pas encore de trains (ou à peine, petites distances). En revanche, il y a des bateaux à vapeur, qui peuvent abattre les  1100 km du trajet maritime en 80 heures à 7 nœuds de moyenne ou un poil plus, surtout à la belle saison.

Par les malles-poste, Bordeaux à Paris prend 38 heures (arrivée 4 h du matin), Paris à Calais prend 18 heures, départ 18 h. Cela fait 70 heures pour Bordeaux à Calais. (source Annuaire des postes 1843). Plus une dizaine d'heures pour franchir la Manche et rejoindre Londres.

C'est donc assez comparable. C'est juste une remarque, qui ne vise pas à justifier la voie du commerce de Bordeaux à Londres.

Bruno

bonjour, et merci pour vos réflexions,

Laurent a écrit:

cela ne viendrait pas du fait de la gratuité des échanges entre l'Espagne et la France à cette époque?

en fait, il n'y a pas de gratuité. En 1844, hors convention postale, l'affranchissement est forcé jusqu'à la frontière, il devrait y avoir une marque de port payé (PP, franca, etc) et une taxe au dos. A partir de 1850 (convention de 1849), le port dû est obligatoire, ça en fait une sorte de gratuité pour l'envoyeur, effectivement.

Bruno, les vapeurs sont forcément "pas du commerce" en 1844, or la lettre est estampillée Ship Letter. Et à la voile, il y a les vents contraires (surtout en hiver, avec Milady).

L'archive Huth est giga-connue, les relations entre La Corogne et Londres par voie de mer archi-battues. En principe, une lettre pour Huth, ça ressemble à ça :

,

Pas de taxe espagnole (voie du commerce), Vigo est probablement le nom du barlu, au dos une marque de Ship Letter, une marque de Londres, et devant une taxe anglaise de port dû de 8 "peniques" pour la voie de mer (1 Vic c 34).

Je me demande si "por Madrid", ce ne serait pas une demande de routage par voie de mer qui aurait mal tourné ? Aura t'elle été remise dans le droit (mais humide) chemin par le directeur de Bordeaux ? Mais de quelle autorité ? Et quid des droits postaux français ?

D.

Doudad a écrit:

Bruno, les vapeurs sont forcément "pas du commerce" en 1844, or la lettre est estampillée Ship Letter.

Pas de vapeurs dans la marine de commerce en 1844  ? C'est peut-être encore rare pour la flotte française, mais pas pour celle de Grande-Bretagne (qui venait à Bordeaux charger du "claret", entre autres).

J'ai lu (*) qu'en 1840 la flotte de commerce britannique comportait 840 steamers, avec une croissance importante dans les années suivantes.

(*) https://fr.wikisource.org/wiki/Des_Nouvelles_voies_maritimes , page 810

Bruno

D'accord, d'accord, je m'incline, tu me semble parfaitement maîtriser ce qui a trait à la voile et à la vapeur.

D.